L’intrusion

               C’était un jeudi soir, en automne. Les nuages sombres surplombaient la ville, le vent sifflait entre les feuilles des arbres. J’entendais légèrement  le son de la voix des gens qui hurlaient dans les rues adjacentes pour vendre leurs babioles. Je me retrouvais souvent à parcourir ces chemins regorgeant de vie, d’innombrables êtres, vivant en harmonie entre eux. Je marchais sur les pavés sales du vieux quartier, je regardais autour de moi et je ne voyais que des visages crispés, fatigués par la vie.

               Le vieux quartier surplombait le grand port de la ville, le grand port était un énorme champ de bataille, d’immenses navires marchands y étaient amarrés pour décharger leurs nombreuses marchandises stockées dans leurs cales. De nombreux tonneaux en bois traînaient sur les quais humides en attendant d’être chargés sur les chariots tirés par les chevaux de trait.

               La ville, de son nom Saint-Denis était tellement impressionnante, ici les gens s’habillaient bien, les hommes avaient principalement une petite chemise, un petit veston avec le chapeau melon qui allait avec, les femmes avaient quant à elles de longues robes avec tout type de motifs. On était à l’aube de la Révolution Industrielle, en ville on entendait le bruit assourdissant des machines qui fonctionnaient jour et nuit. Il y avait le tramway, une sorte de petit train pour les passagers, on en trouvait qu’en ville des monstres pareils, ils parcouraient la ville sur leurs rails installés préalablement en forme de circuit, tout autour de la ville. À chaque fois que j’allais à Saint-Denis, je le prenais, c’était à chaque fois une découverte, le vrombissement des roues métalliques frottant sur les rails rouillés, le bruit sourd du coup de sifflet qui me saisissait, je faisais attention à chaque petit détail. Ce jour-là, le tramway était assez vide, de nombreux sièges étaient laissés à l’abandon. Au détour d’un regard, j’avais remarqué que l’on m’épiait de l’autre bout du wagon, un homme relativement grand qui avait apparemment une maladie. Son front était comme enfoncé dans son crâne, c’était assez particulier. Son regard perçant me mettait mal à l’aise.

              J’étais descendue à l’arrêt qui donnait sur les étals des commerçants comme à mon habitude, la nourriture ne venait pas à manquer ici, on trouvait de tout. Je ne me préoccupais même pas de l’heure affichée par ma vieille montre dont le mécanisme commençait à légèrement s’enrayer. C’était mon petit rituel, si l’on peut appeler ça comme cela, parcourir toutes ces étals comme un circuit, de long en large, de gauche à droite, passant à chaque comptoir où l’odeur des nombreux produits me sautait au nez en n’en n’oubliant aucun, tout cela pour acheter de quoi manger le soir. Un peu de pain, des haricots en conserve et un morceau de viande qui venait tout juste d’être assaisonnée par le grand boucher feraient amplement l’affaire. Au moment de récupérer mon morceau de viande fraîchement découpé, j’avais aperçu l’homme qui était dans le tramway, il était toujours là à m’observer du coin de l’œil, je n’avais pas assez de courage pour aller lui demander ce qu’il me voulait. J’étais un peu paniquée, il me stressait, j’avais pris mes achats et je m’étais dirigée vers le poteau où j’avais attaché mon cheval avec sa corde. Je m’étais dépêchée d’insérer mon pied dans l’étrier, d’attraper le pommeau et de m’en aller de là, en ordonnant au cheval de prendre la route en direction de ma maison qui se trouvait dans le village d’à côté.

               C’était un petit village assez accueillant connu sous le nom de Rodhes. Ce village avait de nombreux commerces, une épicerie, un saloon qui était plein à craquer le vendredi soir, avec des hommes tellement ivres que l’on se demandait comment ils pouvaient encore tenir debout, un barbier, le bureau du shérif et une écurie flamboyante où des chevaux d’une beauté sans égale attendaient ici que leur maître viennent les chercher pour une petite escapade. Les maisons du village relativement petites, elles étaient toutes en bois, certaines plus récentes que d’autres, les plus vieilles voyaient déjà leur bois pourrir, ce qui leur donnaient une odeur particulière. Une fois chez moi, je sentais l’odeur du bois moisi, les planches du parquet craquelaient sous mes pas, en montant l’escalier, j’avais jeté un œil par la fenêtre, apercevant la pluie qui commençait à peine à tomber, frappant gentiment sur la façade.

               En arrivant dans ma chambre, j’avais eu une seconde d’inattention, faisant tomber la vieille montre de ma poche, j’étais inquiète de savoir si elle fonctionnait encore, ce petit bijou de fortune était si fragile. Je m’étais empressée de me baisser pour la récupérer. À cet instant, j’aperçus un homme de dos couché sous mon lit, je restais figée sur place, terrorisée par sa présence, cette idée d’intrusion me jeta un froid dans le dos. J’entendais la pluie battre sans cesse contre la fenêtre de l’escalier et le vent hurler dans le bosquet derrière la maison, je devins peu à peu froide comme une pierre, il me fallut quelques secondes pour me remettre de mes émotions. L’homme n’avait aucun visuel sur moi et ne savait pas donc pas qu’il était démasqué. Je devais agir vite, je m’étais donc redressée et dirigée vers la salle de bain, en fermant la porte derrière moi, faisant semblant de prendre un bain, laissant couler l’eau abondamment, le bruit de l’eau masquait mes agissements. Cela m’avait permis de reprendre mon souffle. Je m’étais rapprochée de la fenêtre, je l’entrouvris et je me faufilai en dessous, il y avait un petit abri de jardin en contrebas de la fenêtre, me permettant de descendre sans me blesser et faire trop de bruit lors de ma descente pour éviter qu’il se rende compte de la supercherie. Une fois descendue, je courus le plus vite possible en direction du bureau du shérif, marchant d’un pas lourd dans la boue qui m’éclaboussait. J’interpellai les représentants de la loi dans leur bureau qui ne se trouvait pas loin du centre de Rodhes et leur expliquai brièvement la situation, cela ne semblait pas les inquiéter plus que ça, ils se dirigèrent tout de même vers chez moi, je leur avais indiqué où l’homme se trouvait, je les avais laissé entrer, armés de leur révolver, ils étaient bien mieux équipés que moi pour faire face à ce genre de situation.

              Encore sous le choc, j’attendais leur sortie. Après quelques instants, ils ressortirent, un homme ligoté avec une corde, porté par l’adjoint du shérif, le shérif m’expliqua que j’avais bien fait de les prévenir, l’homme était effectivement, armé d’un couteau et attendait ma sortie de la salle de bain, néanmoins le shérif avait été surpris, l’homme n’avait montré aucun signe de résistance, il ne s’était même pas rendu compte que les représentants de la loi étaient derrière lui.
Ce furent à peine quelques secondes d’une terreur sans fin. Soulagée mais toujours sur mes gardes, je les regardais s’en aller, l’homme s’était alors dégagé de l’épaule de l’adjoint et me fixa jusqu’à qu’il n’ait plus la vue sur moi, l’espace d’un instant, il me sembla familier, cela me tétanisa, j’avais le sang glacé. Son visage disparut peu à peu derrière un bâtiment tel le ciel recouvert par la nuit noire.

Youssef Kherchachi

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